mardi 28 décembre 2010

Profession de foi

On m'a élevé pour être un type bien.
A l'école de mon quartier, où quelques enseignants et le Directeur lui-même étaient des religieux, on me disait qu'il ne fallait pas mentir. On m'a appris qu'il y avait le bien et le mal. On m'a appris que nous étions chacun le prochain d'un autre, et qu'il fallait respecter son prochain. Parce qu'on m'a appris qu'il ne fallait pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu'il me fasse.

On m'a appris qu'il y avait un pardon, et que demander le pardon de quelqu'un est difficile. Tellement difficile qu'il ne faudrait jamais avoir à demander pardon, et pour cela, qu'il me faudrait être un homme de bien.

En haut de la seule double page de mon carnet de notes gris-cartonné où s'étalaient les résultats de l'année, il était écrit en belles lettres cursives "L'effort persévérant triomphe de toutes les difficultés". On m'a appris à me donner du mal, on m'a appris à faire des efforts et à trouver la récompense dans le résultat de mon travail. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai compris que la récompense se trouvait également dans l'effort lui-même.

On m'a appris à n'utiliser que les mots dont je connais le sens, et à ne pas être pédant. On m'a appris que la ligne droite est le plus court chemin, et qu'elle est le chemin de la logique et de la déduction.
On m'a appris qu'il ne fallait pas mentir, car un mensonge finit toujours par être découvert et que les conséquences se paieraient.

On a essayé de m'apprendre qu'il y a un Dieu qui nous aime, et qui nous jugera tous le moment venu. Ceci, je ne suis pas certain de l'avoir véritablement retenu, mais je sais que le jugement existe. Qu'il s'agisse de celui de Dieu ou de celui des Hommes, il n'est pas besoin d'être dans les livres d'Histoire pour être jugé. Salaud historique ou salaud de quartier, tous seront jugés. Seule la taille du jury varie.
Et puis je me suis découvert une intelligence. Je me suis rendu compte que j'étais en mesure d'être utile, que je pouvais produire et, partant de là, que j'avais un rôle à tenir. Alors je suis entré dans le système, et j'ai fait comme on m'a appris.

J'ai fait de mon mieux mais cela n'avait aucune importance. Pire, contrairement à l'école, ceux qui faisaient moins bien n'avaient pas forcément de mauvaises notes. Au contraire, les menteurs, les rapporteurs, les colporteurs, en un mot les courtisans avaient le dernier mot et la considération.
Et même, le mensonge et les intrigues sont devenus des façons de faire. C'est l'eau dans laquelle il me faut nager désormais. La ligne droite n'est plus le chemin le plus court. Au contraire, maintenant tous les moyens sont bons. Et les chemins les plus tortueux ont la préférence puisqu'ils permettent de perdre ceux qui essayent de comprendre.

Maintenant on cultive l'échec car il est devenu une méthode. On met les autres en difficulté pour mieux les remplacer selon son intérêt, on se met soi-même en échec artificiel afin de pouvoir légitimement faire autrement ou avec quelqu'un d'autre. Et cela n'a rien de difficile : il suffit d'être imaginatif et menteur. Aucun état d'âme à avoir, parce que le mensonge est loin d'être toujours puni. La notion d'âme et de conscience disparaît devant bien des intérêts, notamment financiers. Un homme de bonne foi et consciencieux risque gros s'il agit en conséquence et dépossède ainsi certains du fruit de leurs intrigues, de ces fruits qui poussent sous la table...

Plus tard, j'ai découvert un art martial japonais exceptionnel, et toute la philosophie qui l'accompagne. Et l'on m'a appris qu'il ne fallait pas profiter de sa force pour écraser l'autre. On m'a appris qu'être fort mais seul n'avait aucun intérêt. On m'a appris qu'il fallait aider l'autre à s'élever pour finalement grandir à deux, et que la force n'est rien sans la compassion.
On m'a appris qu'il fallait faire du mieux que l'on pouvait, et respecter les autres et ce qu'ils sont. On m'a appris qu'il ne fallait pas chercher à l'emporter sur son partenaire mais apprendre mutuellement de nos affrontements.

On m'a appris que la technique de combat et la philosophie sont indissociables pour devenir ce que les pratiquants sont censés être : des hommes de bien capables de comprendre et aider, et non des guerriers.
Tous ces préceptes, venus de l'école du quartier de mon enfance comme de Tadotsu, me permettent d'être en accord avec moi-même. De soutenir mon regard dans le miroir et de savoir, même s'ils ne sont pas les plus rémunérateurs, que mes choix sont les bons.

Mais il n'empêche que le pouvoir appartient aux fourbes, aux menteurs, aux politiques auxquels je me suis frotté... A tous ceux qui dévoient leur rôle premier. Ceux qui sont supposés aider la communauté et finissent par ne voir que leur intérêt à conserver leur place. Ceux qui constituent autour d'eux une sphère d'influence à grands renforts d'intrigues et de services rendus. Ceux qui sont capables de mentir en vous regardant droit dans les yeux. Même s'ils savent que vous savez qu'ils vous mentent, ils sont certains de leur impunité.

Mais c'est plus fort que moi, les prêtres de mon école me disaient que les premiers seront un jour les derniers, Rudyard m'a dit qu'il y a des gueux pour exciter les sots, et, même si c'est ma grande erreur, j'ai foi en l'Homme, son intelligence et son jugement.
J'ai appris tout cela et, quand bien même ce serait faux et surfait, j'ai au moins ma conscience. Je n'ai pas la fortune, mais je suis riche de ça.

Originellement publié en juillet 2009