mercredi 3 septembre 2008

Pour un poisson

Ses yeux ne pétillaient pas ce soir. Et ses gestes habituellement si vifs, si enjoués étaient pesants, comme au ralenti. Elle avait sur elle un poids qu'aucune petite fille de trois ans ne devrait avoir à porter. A trois ans, on rit. On fait des blagues nulles, on désobéit, on court dans le couloir, on joue au ballon contre le mur blanc, on crie à tue-tête.

Elle venait de pleurer. Quand je l'ai prise dans mes bras, elle m'a raconté. Juste trois mots. Poo est mort. Poo, c'est son poisson rouge. Je la serre fort, l'embrasse, la câline en vain. Je ne peux que lui parler de l'ordre des choses mais rien n'y fait. Le monde des merveilles dans lequel elle vit encore vient de s'ébrécher. Une première fissure qui s'agrandira peu à peu.

Je lui parle encore, jusqu'à ce qu'elle me réponde. Je lui parle de ses jeux, je lui parle de son frère... Il sera bien temps pour nous de revenir sur ces choses-là. Je lui parle pour que son esprit vagabonde un instant. Et un instant, ça marche. Les minutes qui passent me paraissent plus légères, mais elle se rembrunit pourtant. Je lui demande ce qu'elle veut, ce que je peux pour elle. Sa réponse est simple : "Je veux Poo". Simple et terrible à la fois, parce que je ne m'y attendais pas : j'ai appris à me résigner et à accepter le définitif.

Pourtant, ce n'est pas sa peine qui m'a touché. Mon chagrin vient de mon impuissance. Cette fois, je ne pourrai pas passer la nuit à réparer un jouet qu'on lui a cassé. Je ne peux rien pour elle, sinon lui apprendre à faire avec. Un jour, je lui dirai que nous partons tous et que pour ça, il faut être une femme ou un homme de bien. Parce que une fois partis, nous n'existerons plus que par ce que nous laissons après nous.

Mais il est encore trop tôt pour lui apprendre tout cela. Ce soir, je ne peux rien faire pour elle, à part la serrer fort dans mes bras. La serrer, de toute mon impuisssance.